Pastiche sur le texte de Philippe Delerm, « La première gorgée de bière »
C’est le seul qui compte. Les autres membres, de plus en plus congelés, de plus en plus frissonnants, ne donnent qu’une tremblote désordonnée, un frisson blasé. Le ventre, éventuellement, retrouve, avec le soulagement d’être peut-être enfin mort, un semblant d’abandon…
Mais le premier pied ! Le pied ? En forme d’étrave, pour goûter progressivement à l’eau. Sous la plante déjà, la banquise du sable humide qui cède à la pression, les congères abandonnées par le ressac, puis l’avancée sauvage de l’onde glacée, la cruelle morsure enrobée d’écume. Comme il semble interminable, le premier pas ! On s’enhardit trop vite, avec une volonté prétendument désinvolte, on trempe la cheville. En fait, tout est écrit : en degrés centigrades, ce trait, bien trop bas dans le tube de verre, qui frigorifie déjà ; l’hypothermie envoie ses endorphines, les tendons se nouent, les mâchoires se resserrent, on vit un cauchemar éveillé ; la granulométrie galopante de la peau qui résiste. Sans illusion, on sait. Toute la douleur reste à venir. On regarde la mer, en contemple les friselis, se remémore quelque beau poème.
On évalue la distance, combien de mètres jusqu’au genou, au pubis, une hauteur traduite en pas ; en pas, certes, mais en avant. Par toute une gestuelle d’étirements et d’esquive, on retarde la gifle du rouleau qui vient à toute allure se fracasser sur les parties, recroquevillées au fond du slip. On se hausse et se hisse aussi haut que possible. Mais on ne peut s’empêcher d’avancer tout de même, inexorablement, vers le destin glacé. On aspire à trafiquer le calendrier, accélérer la pendule jusqu’au mois d’août. Mais sur la plage parsemée de naïades narquoises, le courageux baigneur de mai progresse et meurt centimètre après centimètre. C’est un orgueil débile : on avance pour ne pas avoir l’air d’un con.