Variations autour du chocolat : Parodie d’après Philippe Delerm, « La première gorgée de bière »
C’est le seul qui compte. Les autres, de plus en plus sucrés, de plus en plus fugaces, ne donnent qu’une bouillie collante, une saturation blasée. Le dernier, peut-être, retrouve, avec le soulagement d’en finir, un semblant d’amertume…
Mais le premier carré ! Carré ? La forme idéale pour gourmand pressé. Sous les doigts déjà, ce craquement sec de la plaque qui cède à la pression, les arômes enchâssés sous l’aluminium frissonnant, puis lentement, sur les papilles, l’âpre volupté enrobée de douceur. Comme il semble infini, le premier carré ! On l’enfourne bien vite, avec une voracité prétendument métabolique. En fait, tout est écrit : la taille du carré, ce ni trop ni trop peu qui sied si bien à la langue ; l’hypophyse envoie ses endorphines, les tensions se dénouent, les paupières s’abaissent, on en ronronnerait de plénitude; la promesse fallacieuse d’une éternité onctueuse en bouche. Sans illusion, on sait. Tout le plaisir est derrière. On regarde la plaquette, la repousse même vers son emballage de papier déchiré.
On évalue le schéma, quadrillage mathématique des aires, masse trompeusement bidimensionnelle. Par toute une gestuelle de componction et d’esquive, on voudrait reproduire l’extase qui vient à la fois de s’épanouir dans la bouche et de s’évanouir dans l’œsophage. On lisse avec désolation la châsse argentée que l’on a irrémédiablement fripée. Hélas, denrée et emballage peuvent s’entremêler, se confondre en platitudes, ce qui fut n’est plus. On aspire à décoder les alchimies complexes et les consigner en un grimoire. Mais sur la table parsemée d’éclats sombres, la gourmande frustrée engloutit de plus en plus de chocolat avec de moins en moins de plaisir. C’est une jouissance coupable : on croque pour chasser l’écœurement qui gagne.