Exercices de style:
Original de départ, épuré
On a prudemment goûté du pied la banquise d’une flaque abandonnée par le ressac, puis carrément tendu la cheville à l’avancée sauvage de l’onde glacée ; les tendons se nouent, les mâchoires se resserrent, granulométrie galopante de la peau, on regarde les friselis, se remémore quelque beau poème ; par toute une gestuelle d’étirements et d’esquive, on retarde la gifle du rouleau qui vient à toute allure se fracasser sur les parties recroquevillées au fond du slip, il faut avancer tout de même, inexorablement, vers le destin glacé ; alors, sur la plage parsemée de naïades narquoises, le courageux baigneur meurt centimètre après centimètre, de son orgueil débile, pour ne pas avoir l’air d’un con.
1 : Personnage principal aligné, futur,
Je vais d’abord tâter du pied cette flaque abandonnée par le ressac, puis je plongerai la cheville dans la vague ; bien que tétanisé par le froid, la peau couverte de chair de poule, je contemplerai les friselis, me donnerai du courage en chantonnant et, m’étirant et esquivant, je tenterai de protéger de la gifle du rouleau mes pauvres balloches ratatinées au fond de mon slip, pour épater ces gonzesses vautrées sur la plage, j’avancerai quand même, vers le large et je crèverai centimètre après centimètre, juste pour ne pas avoir l’air d’un con.
2 : Distancié, le chauffeur du bus
Il est fada, le type du siège 12, d’abord le pied, puis la cheville, et voilà, ça n’a pas raté, il est raide comme un piquet, glacé comme un esquimau à la fraise, on voit même les pépins sur sa peau, il regarde l’horizon, eh oui mon coco, c’est loin Copacabana, il bouge les lèvres, sa dernière prière sûrement, et maintenant il danse, en avant en arrière, faut savoir ce qu’il veut, mais ce rouleau-là, vu sa hauteur, il est pour Coquette et ses sœurettes, je ne sais pas ce qu’il va en rester, mon gars, au fond de ton slip ; il avance tout de même, chapeau, ah, je comprends, les sirènes de l’arrière du bus ont arrêté de respirer, allez, Coco, tu vas mourir, c’est sûr, mais en héros : ce soir, tu en tombes au moins trois, … si tu reviens vivant !
3 : Ignorant, le gamin qui fait des pâtés
« Maman, il va où, le Monsieur, tu as dit que l’eau est glacée, c’est pas interdit de patauger dans la flaque et de mettre la cheville dans la vague ? Pourquoi il est tout rouge et il ne bouge plus et il fait la chair de poulet ? Il danse comme s’il ne voulait pas mouiller son maillot, et il avance quand même, il veut y aller ou il veut pas ? Maman ? Maaamaan ! Pourquoi tu souris quand tu le regardes ?
4 : Omniscient
Ce jeune étudiant en histoire de l’Art qui a économisé sur ses repas au Crous pour partir en excursion aux Saintes-Maries-de-la Mer, le week-end du 1er mai, a prudemment tâté le contact frigorifiant de la flaque abandonnée par le ressac, puis franchement tendu sa cheville veinée de bleu à la vague glacée ; ses tendons se sont noués, ses mâchoires se sont resserrées ; son épiderme en chair de poule des orteils jusqu’au sommet du crâne, il a regardé les ondulations de l’écume, s’est passé en boucle les paroles de « La mer » de Charles Trénet, puis s’est livré à un fandango cocasse, tout en étirements et esquives, dans l’espoir de retarder l’instant fatidique où le rouleau viendrait à grand fracas achever de congeler ses pauvres petites parties qui tentaient frénétiquement de remonter à l’intérieur du ventre encore tiède ; qu’importe, il lui fallait avancer encore, inexorablement, vers un destin glacé, et, sous le regard narquois de quelques jeunes filles alanguies au chaud soleil de mai, mourir centimètre après centimètre, à cause d’un orgueil débile, juste pour ne pas perdre la face.
5 : Personnage principal, naïf
Oh, la mignonne petite flaque abandonnée par le ressac, vite, tendons la cheville à la jolie vaguelette frisottée qui vient là ; tiens, une raideur soudaine affecte mes tendons et mes mâchoires, graine ma peau si douce de pics rigolos, et comment ne pas fondre devant la beauté de cette immensité bleutée chantée par les poètes du monde entier ; je ne suis pas impatient d’offrir mes intimités à ce rouleau inquisiteur comme un chien fou, mais, allons, plus que quelques mètres et j’offrirai à ces jeunes demoiselles la joie de contempler un baigneur heureux.
6 : Personnage secondaire : naïade triste, et à l’envers
Je suis vraiment désolée pour lui, il a plus l’air d’un couillon que de Schwartzeneger, à avancer en se tortillant comme un pauvre asticot crucifié sur un hameçon, dans cette mer gelée ; c’est déprimant, toutes ces filles cruelles, sans compassion aucune pour sa misérable quéquette ratatinée au fond de son slip, quand le rouleau est venu se fracasser dessus ; rien qu’à voir les efforts pathétiques qu’il fait pour avoir l’air brave et détendu, tout crispé par le froid, sa peau hérissée de picots de souffrance, j’ai envie de pleurer ; mais aussi, quelle idée navrante d’avancer sa cheville dans la vague entrante, tremper le pied dans la petite flaque abandonnée par le ressac aurait dû lui suffire à réaliser qu’il allait offrir un spectacle affligeant, et pour quoi ? Juste pour épater cette sinistre galerie.
7 : Procédé de style : expression, elliptique
Week-end de mai, un bus de touristes, destination farniente sur la plage ensoleillée. « Si je veux pêcho ce soir à l’hôtel, faut que je sorte du lot. Allez, à l’eau. Allô Maman, bobo ! Je veux sortir de là, mais je ne peux plus. L’air d’un con. De toute façon. »
8 : Procédé de style : expression optimiste
C’est vraiment un paysage de rêve, le sable est frais autour de cette flaque abandonnée par le ressac, mais je suis sûr que l’eau est bonne, allez, on y va, gaiment, la cheville d’abord, pour tâter la vague, ah, la saine réaction d’un corps qui se tonifie au contact de cette onde stimulante, et que dire de ces friselis, c’est encore plus beau vu de près, Victor Hugo avait raison, l’homme toujours chérira la mer ; je vais opérer une petite mise en condition, étirements, assouplissement de la colonne, avant la dynamisante rencontre de mes parties avec cet énergique rouleau, et quand je sortirai, je me sentirai tout revigoré … donc …. il me faut avancer si je veux jouir de tout le bienfait vivifiant de ce bain, et ce soir, ces naïades alanguies n’auront d’yeux que pour moi.
9 : Procédé de style : travers contemplatif égocentré
Le soleil m’éblouit en se reflétant dans une flaque abandonnée par le ressac, je suis bien, bercée par le bruit des vagues qui se jettent sauvagement sur la grève, pendant que les friselis d’écume dessinent des dentelles au large, ça me rappelle ce poème de Baudelaire, qu’est-ce qu’il disait, déjà ? Comme ils ont l’air puissants, ces rouleaux, je suis heureuse d’être à l’abri de leur baiser glacé sur cette plage tranquille. Tiens, il y a un mec, dans l’eau.
10 : Procédé de style : sonnet
Face à l’immensité l’homme au pied en étrave
De la nature hostile brave les éléments
Et du bout de l’orteil tâtonne prudemment
Les degrés d’une flaque échouée sur la grève
Sous un soleil d’airain, la vague est scandinave
Il hésite, frissonne et repart en avant
Retarde autant que peut par maints esquivements
Le choc, d’avec les flots, valseuses et petit chauve.
Ni Rimbaud ni Trénet n’ont su réchauffer l’onde
Sous le regard narquois d’une poignée de blondes
Làs ! Au destin glacé il faut tendre le pas
L’aiguillon dans le dos, devant, la mort turquoise
Imbécile d’orgueil, pour quelques Suédoises,
Le courageux baigneur marche vers son trépas.