Le vœu de Fistule

Sur les rives d’un étang pollué vivait, joyeuse et insouciante, une horde de rats. La nature distribuait en abondance rognures et détritus. La vie était facile, le royaume prospère.

Le roi Panaris aimait tendrement la reine Fistule. Hélas, une ombre planait sur leur bonheur. La reine, malgré leurs efforts lubriques et acharnés, n’engrossait pas.

Panaris se donnait pourtant beaucoup de mal. Le cou de Fistule était boursouflé de plaies purulentes, des morsures que son tendre époux lui prodiguait avec fougue et dévotion. Elle beuglait à fendre l’âme à chaque assaut, lorsqu’il y plantait ses longues incisives jaunes.

Un soir, désespérée, Fistule errait sans but. De délicieux relents de décomposition accompagnaient sa rêverie mélancolique. Son pied délicat de reine heurta violemment une caisse en bois doré.

« Enfer et putréfaction ! » hurla-t-elle, massant son orteil endolori.

L’objet éveilla sa curiosité. Elle tourna, vira, fureta tant et si bien qu’un des côtés de la caisse finit par coulisser. Elle y glissa un museau intrigué.

À l’intérieur, un drôle de personnage, collé sur un flacon de liquide doré, la regardait, souriant de toutes ses horribles dents blanches. Il s’en détacha et vint à elle.

« Bonsoir, ma Princesse ! Je suis le Génie de la Bouteille. On me nomme Johnny. »

Fistule se frotta les yeux et gratta les croûtes de cérumen qui obstruaient ses oreilles.

« Je ne vous entends point, reprenez, je vous prie.

– Je suis le Génie de cette fiole et j’exauce les vœux. Bois cet élixir et fais un souhait, il se réalisera.

– Ah ! Bah ! Qu’est-ce que je risque ? »

Elle batailla quand même pour grignoter le bouchon de cire qui scellait la fiole. Quand enfin elle y parvint, un liquide ambré se répandit dans la caisse en bois.

« M’y voilà donc ! » et elle en but quelques lampées.

« Ça vous frise les moustaches au passage et vous fiche un coup de pied au cul dans l’estomac, mais faut ce qu’il faut quand on veut ce qu’on veut. » pensa-t-elle.

L’élixir lui monta à la tête, tout se mit à tourner, elle s’allongea pour ne pas tomber.

« Mince, mon vœu ! » murmura-t-elle, avant de sombrer dans un affreux cauchemar. Des petits rats roses et imberbes, aux hideuses joues rebondies et au museau plat, dansaient avec leurs pattes raides sur un sol lisse et brillant comme un lac propre.

Johnny se faufila alors entre ses cuisses afin, comme promis, d’accéder à son vœu.

Fistule se réveilla sans souvenir, mais avec la tête comme un ballon. Plus aucune trace, l’élixir s’était répandu et le sol avait tout absorbé.

Vingt-trois jours après, elle donna naissance à un bébé. Oncques dans le royaume ne se vit plus hideux raton.

Il était rose et joufflu, n’avait de poils qu’un toupet de boucles blondes au sommet du crâne, et un museau retroussé tellement court que s’en était pitié. Tout le monde pensait : « Mon Dieu, comme il est laid ! » mais personne n’osait gâter la joie du couple royal.

Panaris eut beau le retourner dans tous les sens, il ne lui trouva pas de longue queue soyeuse et annelée. Il en avait bien une, mais toute petite et très mal placée.

Son cœur de père, tout à la joie d’avoir un héritier, ne s’arrêta pas à ces détails.

Il embrassa Fistule rayonnante.

« Il s’appellera Bubon! »