Arbres

La nouvelle métaphorique

Défiant les siècles, témoins silencieux des années fastes, des pogroms, de l’abondance et des disettes, ils sont partout, obstinément. Ils parlent de tout et de rien, de petits riens et de grands tout. Riants, légers, torturés, acérés ou empoisonnés, ils nourrissent les hommes.

Nul ne sait par quelle alchimie étrange, à partir d’air et de lumière, et de quelques sombres molécules enfouies, pour tout dire de presque rien, poussent les arbres.

Géant de haute futaie ou modeste buisson épineux, seulement armé d’une pousse tendre et fragile, il perce, un jour, –– saura-t-on jamais pourquoi celui-ci pas un autre ? ––  un tégument coriace et, feuille à feuille, s’élance.

Obstinément, saison après saison, il construit charpente et ramure. Ses racines, bien à l’abri des regards, vont puiser au sol fertile, au terreau des cultures, lentement mûri depuis des générations, aux tréfonds des âges, les atomes originels. Sa sève bouillonnante ramène au grand jour les trésors enfouis.

Le créateur tricote et détricote la fibre en devenir. Peaufine. Détruit. Un gel soudain brûle une promesse de récolte. Une tornade abat le plus abouti des seigneurs en un tas pourrissant livré aux collemboles. Une sécheresse précoce emporte des feuilles avortées. Quelques incendies portent au bûcher les plus beaux spécimens.

Séculaire ou rabougri, il se rit de ces revers de fortune. Le vent emporte des myriades de graines aux quatre coins d’un monde sphérique. Par-delà les océans, accrochées à un radeau improvisé, elles voyagent. D’aucuns confient à quelque faune symbiotique la charge de leur précieux fardeau. D’autres sèment à tout venant.

Il a crû sans bruit, à l’ombre dense des géants, ce tout jeune arbre que personne n’avait remarqué. On passait à côté, lui jetait un œil dédaigneux, se riait de son ombre ridicule, détournait son chemin. Lui ne s’en offusquait pas, il bruissait doucement son histoire aux passants. Des paroles dures et des mots tendres, des vérités pas bonnes à dire, des pieux mensonges, des cris de rage et d’allégresse, à tout venant il racontait.

Un beau jour, ou un moche, –– non, il faut qu’il soit beau, –– un quidam désœuvré s’est allongé sous sa ramure, s’est bercé de ses murmures. Intrigué, un autre l’a rejoint, s’est glissé entre les feuilles coquines et puis s’est mis à rire à grands éclats tranchants.

La foule est arrivée. À chacun il racontait une histoire unique : ce qui n’a pas été, ce qui sera peut-être, ce qui aurait pu si … Et on l’a adoré.

On a élagué autour de lui. Porté en pleine lumière. Encensé, honni, courtisé, sali, il atteignit le pinacle.

Et le monde tourna comme tournent les mondes, versatile et ingrat. Un autre capta les rayons du soleil. Il sombra dans l’oubli.

Mais il est toujours là, endormi mais pas mort, espérant sagement un dimanche pluvieux.

Qu’une âme désœuvrée soulève le couvercle de la malle assoupie au grenier poussiéreux. Qui sait ? Une graine en jaillira peut-être, attendra patiemment de germer un matin, sous la plume enfiévrée d’un futur écrivain.