Pour une poignée de Sultanes …

olive trees and almond trees

Montpeyroux, Hérault, Vendredi 6 août,

 

Lieu-dit Boissière, 7h30

Elle ne doit pas peser plus de quarante kilos toute habillée, la mamette. Elle est appuyée contre une grosse pierre, comme une duchesse alanguie dans son ottomane. Sauf que ses nippes sont tellement usées que je n’en voudrais même pas pour lustrer mes pompes en croco. Elle est allongée dans les herbes sèches, et elle a un trou béant à la place de la tempe gauche.

Le Maréchal des Logis André Soubis, de la gendarmerie de Gignac, m’accueille au bord d’une olivette. Il essaye vainement d’éponger les rigoles de transpiration qui lui dégoulinent sur le visage avec un mouchoir trempé. Un auxiliaire blond et bouclé comme un angelot se tient dans son sillage.

– Bonjour, Commissaire.

– Bonjour, André, t’as pas maigri, toi ? Allez, dis-moi …

– Francette Cambon. 72 ans. La propriétaire. Trouvée à 5h1/2 du matin par le beagle de Monsieur, là-bas. La légiste est arrivée.

La somptueuse Clothilde Rabejac est à pied d’œuvre, ses valises de fioles éparpillées autour d’une grosse pierre. On dirait un coquelicot des champs, moulée dans une minijupe rouge vif à volants, haut perchée sur des escarpins assortis.

– Salut Pierrot !

Je lui claque une bise, me rince l’œil au passage dans son décolleté. Ça frémit dans mes bas-fonds.

– Salut, ma poule. Alors ?

– Décès par commotion cérébrale, une seule blessure. Enfoncement crânien par un coup extrêmement violent.

– « Extrêmement violent » ?

– Le temporal est enfoncé de presque deux centimètres.

– Mazette, c’est ce qu’on appelle avoir un trou de mémoire !

Elle glousse.

– Même avec son ostéoporose, il a fallu cogner fort. De la terre sur la plaie. C’est certainement un outil. D’après la rigueur cadavérique, ça s’est passé entre 20 et 22 h hier soir.  J’en saurai plus avec l’autopsie, Je t’appelle, mon gros loup.

Elle est pressée de retourner dans sa morgue climatisée, je la comprends. À peine huit heures du mat et je suis en nage, le slip collé à Coquette.

Jean Bonnafous allait sarcler sa vigne, à la fraîche, quand son chien s’est mis à hurler à la mort. Il l’a trouvée là, comme ça. Non il ne l’a pas déplacée.

– Dame, je voyais bien qu’elle avait passé, les yeux grands ouverts et sa tête en sang… Je suis allé chez Nénette, téléphoner aux gendarmes. Puis on est revenus tous les deux attendre ici.

– Avez-vous vu quelqu’un ? Quelque chose d’inhabituel ?

– Non, le chien aurait marqué. Je ne vois pas son fichu. Elle en porte toujours un.

Je me tourne vers « Nénette » :

– Madame ?

– Elle est toute décoiffée, ce n’est pas d’elle.

Tu parles d’un indice ! Avec le coup qu’elle a pris sur la cafetière, il y a de quoi déranger une mise en plis. J’inspecte les alentours : des vignes et de la caillasse, ici et là, un vieil amandier au tronc torturé, quelques mas disséminés. Montpeyroux, le mont pierreux, si bien nommé, se devine, à l’est. La chaleur monte du sol rocheux autant qu’elle tombe sur les épaules.

– Vous êtes la personne la plus proche d’ici ?

– Avec le téléphone, oui. Sinon, au mazet, là-bas, il y a l’Angel, l’ouvrier de Quatrefages. Il est un peu fada. À cette heure, il est déjà parti travailler.

– Quatrefages ?

– Fernand, le plus grand propriétaire du coin. Toute la vigne, du village à la route de Clermont, lui appartient.

– Merci beaucoup, si d’autres détails vous reviennent, n’hésitez pas à m’appeler. Je leur tends ma carte. La scientifique a terminé. Les véhicules décanillent un à un. André reste le dernier, le chérubin collé à ses basques.

– Je vous laisse Diego, et la Visa. Je pars en renfort sur les plages.

Il me balance un sourire Colgate et démarre dans un nuage de poussière. Sûr qu’il préfère aller se rincer l’œil dans les dunes naturistes du Cap d’Agde que de crapahuter dans les vignes.

La chaleur devient insoutenable. Un Niagara me dégouline dans le dos. On va interroger les autochtones.

Épicerie, 10h30

Chou blanc  à la poste et à la boucherie, j’ai une touche à l’épicerie.

L’épicière finit de peser un sachet d’amandons. Elle m’explique :

– Des Sultanes, les meilleures pour la dragée.

Elle a vu la victime.

– Elle était vraiment en rogne. Je lui ai demandé ce qui n’allait pas, elle m’a répondu que ce n’était pas parce qu’un chiait dans la soie que sa merde sentait la rose.

Dans un coin, une gamine, une poignée de monnaie à la main, s’esclaffe. L’épicière vire à l’écarlate : – Tu es encore là, toi ? File ! Puis se retourne vers moi.

– Francette est partie à toute vitesse. Elle a même laissé ses courses sur le comptoir.

– Pourquoi ? Qu’est-il arrivé ?

– Peuchère, qu’est-ce que j’en sais ? J’ai juste vu le fils Quatrefages passer sur le tracteur. Elle a trotté derrière. Ça sonnait 7h à l’église.

Plus personne ne l’a remarquée après 19h.

Café des platanes, 12h30

À midi, le petit me rejoint dans la salle des mariages, où on a posé le QG.

On va casser la graine au bistrot du village. Il y a une daube et du rosé bien frais, on est les seuls clients, le patron s’ennuie. Au tian de figues, il tire une chaise et vient nous faire la conversation.

– Francette ? Des ennemis ? Elle avait son caractère, mais de là à l’assassiner… Il y a bien Fernand qui lui faisait des misères, à cause de l’olivette qui est comme une chancre en plein dans ses vignes.

– Des misères ? Quel genre ?

– Il roulait chez elle avec ses tracteurs. Il a fait tout un pataquès pour avoir un droit de passage. Avec les terres qu’il a, si c’est pas malheureux ! Mais il faudrait demander à Jeannot Bonnafous. C’est lui qui labourait et donnait la main à Francette pour la taille.

– …

– Si je n’ai rien remarqué d’inhabituel hier soir ? J’ai pas bougé d’ici. Attendez… À la fermeture, à 10h, j’ai vu arriver Angel. Il était dans tous les sens. Il a descendu deux fines cul-sec et il est reparti en roumègant tout seul. Il passe toujours le vendredi soir, manger les pieds-paquets et faire la belote avec Jeanjean, la patronne et moi, mais il ne vient jamais en semaine. Un jeudi, j’ai trouvé bizarre.

Salle du cadastre, 14h30

Il fait un soleil à tomber la queue aux ânes. Je retourne fouiller un peu les chroniques du patelin, au frais, à la mairie, pendant que le môme va convoquer Angel Pagès et le fils Quatrefages.

Le maire est affairé devant une grande table jonchée de plans cadastraux.

Il est au courant du harcèlement de Fernand Quatrefages. Francette est venue plusieurs fois se plaindre qu’il déplaçait sa borne nord pour rouler chez elle, et celle du sud a carrément disparu. Mais il a été débouté de sa demande de droit de passage sur l’olivette. On ne le voit plus, il a eu un AVC à l’automne. C’est le fils qui mène la propriété.

Sur une carte, je reconnais le secteur de Boissière. Le maire me montre les parcelles de Quatrefages et de Francette. En effet, l’olivette fait un accroc dans le joli tapis. Il m’explique qu’il est sur un projet de lotissement. L’autoroute de Montpellier ramène du monde.

– Ici, c’est le terrain de Bonnafous, aux Mazes, là celui de Quatrefages, à Boissière, et ici, Soulage, à la Meillade. Je préfèrerais la Boissière ou les Mazes, qui évitent la traversée du village. Le lotisseur ne veut pas d’enclave. Si Francette ne vend pas, Quatrefages est marron.

Il est tellement passionné, emporté par ses réflexions, que je dois lui rappeler que Francette est en train de prendre le frais dans un tiroir de la morgue de Montpellier.

– Ah ! Alors, avec les héritiers,… il a ses chances.

Intéressant. Je tiens mon mobile et mon assassin ! Quatrefages fils élimine la gêneuse et touche le jackpot. Je retourne au QG, impatient de rencontrer mes lascars.

Salle des mariages (QG), 15h00

Un grand gaillard, la quarantaine, mince, bronzé, viril, deux grands yeux verts et un menton volontaire, pousse la porte sans frapper. Il refuse la chaise que je lui désigne, démarre aussi sec.

– Antoine Quatrefages. J’ai eu votre message. Qu’est-ce que vous me voulez ?

– Commissaire Pierre Fabre, criminelle de Montpellier. Connaissez-vous Madame Francette Cambon ?

– Cette vipère ? Elle a encore porté plainte ?

– Elle a été assassinée hier soir. Que faisiez-vous entre 20h et 22h ?

Il me dévisage, estomaqué. Sa surprise n’est pas feinte, ou alors très bien jouée. Il s’assied.

– Vous n’étiez pas au courant ?

– Je rentre de Montpellier, des affaires à régler. À 19h30, je suis allé porter des plançons au mazet. Elle est arrivée en furie, m’a insulté, encore reproché d’avoir bougé sa borne. Mais je vous jure que je n’y ai pas touché. Ni à la borne ni à la vieille. C’est des histoires de mon père, ça. Demandez à Angel.

– Je n’y manquerai pas.

– Après, j’ai emmené Angel aux cuves pour prévoir le nettoyage, puis je l’ai posé au bord de la route.

– Vers quelle heure ?

– Il devait être 20h30. Ensuite, je suis parti voir ma femme et mes gosses, ils sont en vacances à Palavas. Elle était folle à lier, mais je ne suis pas un meurtrier. Les vignes, je m’en fiche. Ma femme ne supporte pas la campagne. Dès que mon père aura calanché, je vends tout et j’ouvre un camping en bord de mer. Et l’hiver, on se repose, au moins.

Intéressant, il veut vendre. Si le lotissement se fait chez lui, il est débarrassé des terres et il a le pognon. Je vais écouter la version du simplet. M’étonnerait pas qu’ils soient de mèche.

– Ne quittez pas le village sans me prévenir.

Salle des mariages (QG), 16h00

Diego est de retour avec Pagès.

L’homme est noir de poil et de peau, une barbe de 3 jours, sec, trapu, musclé par les travaux des champs. Un taureau de combat. Il regarde partout sauf vers moi. J’attaque bille en tête.

– Où étais-tu hier soir ?

Il cligne des paupières, tord sa bouche en un tic nerveux.

– Au mazet.

– Tout seul ?

– Le patron est passé. Après le boulot …

Bon, c’est pas un brochet, Angel. Je soupire, va falloir le pied de biche pour extraire son emploi du temps. En plus, il n’a pas de montre. Adieu le timing.

– Il est resté longtemps ?

– Pas guère. Il m’a mené aux cuves.

– Et après, qu’as-tu fait ?

Il ne répond pas, ses yeux font la toupie dans leurs orbites.

– Ensuite ? Tu es allé au bistrot ? Il acquiesce à contrecœur.

– Tu es passé par le chemin de la Barthassade, celui longe l’olivette ? Il ne répond pas. As-tu vu quelque chose ? Quelqu’un ? Ratatiné sur lui-même, il hoche la tête en marmonnant en patois.

Il s’est fermé comme une huître. Je n’en tire plus rien. Je décide d’aller jeter un œil chez lui. Un SMS au Proc, je reçois l’e-mandat dans la foulée.

Boissière, mazet, 17h00

Devant le mazet, on trouve des plançons de vigne dans une comporte et des bouteilles qui sèchent sur un if. Pagès, très nerveux, ne dit plus rien, mais son visage est déformé de grimaces. Diego fouine derrière l’if, ramène deux bouteilles remplies d’un liquide transparent.

– Tu distilles, à tes moments perdus ?

Je m’approche, le regard attiré par le contenu du baquet.

– C’est pas la saison des plantations, dis voir ?

Un bout de chiffon dépasse entre les mottes. Avec des franges et des volutes multicolores. Je le soulève avec un bâton et me retourne.

– C’est quoi, ça ?

Il ne répond pas, et pour cause, il a détalé entre les ceps.

On se lance à sa poursuite, Diego le plaque au sol, je le menotte à un arbre, le temps de finir la perquise. Sous le lit, on trouve une chemise tachées de sang. Je parierais que c’est celui de la victime.

– C’est à toi ? Tu as tué un lapin, hier ? Et ce foulard ? Tu le reconnais ?

– C’est pas… C’est pas moi…

– Je me doute ! C’est à Francette Cambon ! Ton compte est bon. Ton patron t’a demandé de l’éliminer ? Tu as intérêt à le dénoncer sinon, il te laissera pourrir en prison. C’est long, la perpète.

Il pleure comme un bébé, une chandelle de morve aux narines. Me donne envie de gerber. Je le laisse dans la voiture, puis refais un dernier tour autour du mazet. Ya pas à dire, il tient tout propre, pas un détritus. Derrière un muret de pierres sèches, ça craque sous mes pieds. Je trouve un petit tas de coques d’amandes blanchies de soleil. Bah ! Qu’il maraude son dessert ! Si c’était son plus grand crime…

Les gendarmes viennent le récupérer, ils le mettent en cellule à Gignac. J’envoie le foulard et la chemise au labo.

Les collègues de Palavas me confirment l’alibi d’Antoine Quatrefages. Il est passé devant la guérite du Camping des Pins à 21h15, en est ressorti à 7h ce matin. Je me promets que, s’il a commandité le meurtre à son demeuré, il plongera aussi.

Le maire nous a laissé la clef d’un petit gîte en réparation. Il n’y a pas d’eau chaude ni de cuisine, mais qu’est-ce qu’on en ferait ? On retourne souper au bistrot. Un soir de pieds-paquets, ça ne se rate pas, et puis, il leur manque un quatrième.

À 21h, le gendarme de garde m’appelle.

– Votre zozo, il est aux urgences à St Eloi. Sa gorge a triplé de volume. Allergique aux fruits à coque. Faudra attendre pour l’interroger. Il ne voulait pas manger. Ses copains de cellule se sont un peu amusés. Ils l’ont forcé à avaler le repas…On fait tout à l’huile d’arachide. Il aurait pu nous dire, ce con!

Puis c’est Clothilde qui me sonne.

– J’ai trouvé de la terre et de la graisse sur la plaie. On l’a tuée avec une machine agricole. Et le sang, sur la chemise comme sur le foulard, est bien celui de la victime. Heure du décès, entre 20 et 21h.

On tient l’assassin, mais on n’a pas l’arme.

Samedi,

 

Boissière, 7h00

J’ai eu beau me vriller les neurones la moitié de la nuit, je pédale dans la semoule. On a dû rater un indice. J’emmène Diego sur la scène du crime tant qu’il ne fait pas trop chaud.

Je m’assieds à l’ombre d’un olivier, ferme les yeux, et demande au gamin :

– Raconte-moi ce que tu vois, toi. Il se prête au jeu.

– Je vois un chemin de terre. Dans le chemin, des trous, creusés à la main, tous les 1mètre 50, alignés. C’est la distance pour des ceps.

– Ceux qu’Angel doit planter.

– Au bord du chemin, il y a un creux, qui fait pile la taille de la pierre sur laquelle on a trouvé la victime. À 3 mètres du chemin, vers l’intérieur de l’olivette, la fameuse grosse pierre. Par ici on les utilise comme bornes, parce qu’on ne peut pas les bouger sans machine.

– On l’a déplacée.

– Très récemment : Avec le mistral de mardi, il y aurait des débris dans le creux, or il n’y en a pas. On a utilisé un mini tractopelle à chenilles, et écrasé un amandier au passage. Il y a des empreintes de chenillette sur le tronc. Ce n’est pas la même personne qui a fait les trous : creuser à la pioche alors qu’on a un tracto sous la main, c’est idiot.

Il n’est pas bête, le jeunot. J’appelle Antoine Quatrefages.

– Avez-vous un mini-tractopelle ?

– Oui, mais il est à Arboras. On tire de l’arrosage.

– Depuis quand ?

– La semaine dernière, pourquoi ?

– Je pourrais le voir ?

– Faudra venir jusqu’ici, parce que c’est toute une affaire de le monter sur le plateau de la remorque.

Je laisse tomber, ce n’est pas avec cet engin que Francette s’est faite refaire le portrait.

Je décide, tant que la température est encore respirable, d’aller à pied faire un brin de causette à Nénette. La dernière maison du village en venant ici, elle doit en voir passer, des passants…

– Qui d’autre a un tracto ? Pauvre ! À part Jeannot, je ne vois pas.

– Jean Bonnafous ?

– Oui, il le garde dans son mas. Il a beaucoup de terrains aux Mazes, mais il a quelques oliviers et deux parcelles ici… Bonjour Marine, tu es bien matinale.

Une gamine d’une dizaine d’années marche sur la route d’un pas décidé, une besace en bandoulière. Elle a un sursaut en voyant l’uniforme de Diego. C’est la môme de l’épicerie.

– Elle vient souvent par-là, cette petite ?

– Elle court les vignes, toute la journée. Sa mère fait la saison sur la côte, elle passe les vacances chez ses grands-parents, au Barry.

On marche jusqu’aux voitures, dépasse les oliviers, en silence. On entendrait nos neurones cliqueter si les cigales voulaient bien la fermer. Nous arrivons au mazet. Je m’assois à l’ombre. Diego scrute les environs.

– Il y a une vue imprenable sur la scène du crime.

Il marche sur les coques sèches.

– C’est quoi, ça ? Il se penche. Des amandes ? Mais, allergique comme il est, il ne peut même pas les toucher !

Ça fait tilt. Où ai-je vu des amandes ? Je bondis ! Je file au Barry, me faire offrir l’anisette. Sans Diego, l’uniforme intimide.

Hameau du Barry, 12h00

Bonjour Marine, j’ai quelques questions à te poser.

Elle est sur la défensive.

– Plus personne ne les cueille, de toutes façons…

– Ne t’inquiètes pas, je ne suis pas garde-champêtre. Tu cassais des amandes derrière le mazet d’Angel, jeudi en fin d’après-midi ?

Elle hoche la tête.

– Et tu as vu quelqu’un sur l’olivette ?

– Mr Bonnafous. Il bougeait la pierre avec son tracto, il a roulé sur l’arbre. Après il est allé le garer à son mas. Puis Mme Cambon est arrivée. Elle a vu l’arbre cassé, alors elle s’est assise sur la pierre et elle a pleuré. Mr Bonnafous a fait semblant d’arriver. Il l’a consolée. Elle s’est énervée, elle a crié qu’elle en avait marre de ces histoires, qu’elle allait vendre à Quatrefages, qu’il offrait un super prix, et qu’il en crève. Que, de toute façon, elle était trop vieille pour s’occuper de ses arbres. Il a dit qu’elle arrête de déparler, qu’il allait lui remettre la pierre le soir, que là il ne pouvait pas. Il fallait qu’elle revienne, à 8h, pour l’aider.  Après, ils sont partis. Je suis rentrée.

Les grands-parents sont devenus blancs comme des endives. La grand-mère l’envoie se laver les mains. Je leur demande de ne parler à personne de ce que la gamine vient de dire.

– Il y a un assassin au village. S’il se doute qu’il a été vu, la petite est en grand danger.

– Vous pensez que…

– Oui.

– Marine, viens vite manger, cet après-midi on va Carnon voir Maman…

J’appelle Diego.

– Sprinte au mas de Bonnafous, j’arrive !

Le temps d’obtenir un e-mandat, on défonce la porte vermoulue. Le mini-tractopelle est là. Des fibres de soie sont accrochées au godet. La lampe fluo montre des traces de sang. Les gendarmes arrivent en renfort, bouclent le périmètre.

On fonce chez Bonnafous. Tout est ouvert, mais il n’est pas chez lui. Sur son bureau, une photo le montre avec une jolie mulâtresse, sur un fond de palmiers. Derrière, une main féminine a écrit : Pointe aux piments, 12/07/2015.

Le maire me le confirme, Jean Bonnafous a épousé Shaheen Béatrice Mangué-Latchimy, sur l’Ile Maurice, en juillet de l’année dernière.

J’appelle les collègues de la PAF à Fréjorgues, leur donne le signalement et la destination, et attends en me bouffant le foie. Il était là, dès la première seconde, il nous a menés, par le bout du nez, à Quatrefages, Pagès et au foulard. Quelle andouille je fais !

Aéroport de Montpellier Fréjorgues, bureaux de la Police de l’Air et des Frontières, 16h30

Il est assis, menotté, me défie du regard.

– Elle allait leur vendre ! Elle les haïssait et elle allait leur donner ce qu’ils voulaient ! Depuis le temps que je l’aidais ; elle me faisait peine, si misérable. J’amenais la tonne pour arroser ses souquets, je labourais, taillais, gratuitement. Elle m’a trahi.

– Mais, pourquoi l’assassiner ? Ils auraient eu leur parcelle complète, c’est tout.

– Vous n’avez rien compris. J’avais besoin de cet argent pour partir m’installer à Maurice. Ma femme a déjà signé pour acheter l’hôtel. Le prix de l’agricole n’aurait pas suffi. Mon terrain est moins bien placé, je n’aurais pas vendu si bien qu’au lotisseur…

En partant, je me fends d’une petite visite à St Eloi. Il est encore intubé. En me voyant, il s’affole.

– Calme-toi, on a trouvé l’assassin. Il a caché le foulard chez toi pour te faire porter le chapeau. En faisant ton petit tour du soir, tu as trouvé Francette, allongée par terre. Tu as essayé de lui porter secours, tu l’as calée sur la pierre, puis quand tu as compris qu’elle était morte, tu t’es affolé et tu l’as laissée ?

Il me regarde de ses grands yeux, sombres comme un puits sans fond, hoche la tête vigoureusement, une larme au coin de l’oeil.

Mon téléphone bipe. Un SMS de Clothilde : « Tu arrives, gros loup ? »