Les Tchèques

(à la mémoire de Pierre Desproges)

Maître d’école est un métier plein de surprises. D’humeur primesautière, un beau matin du 9 mai, je demandai à mes chères têtes blondes de me dessiner un Européen. Vingt-huit élèves, vingt-huit États. Chacun piocha un petit papier et se mit frénétiquement à l’ouvrage. Tous sauf … Jean-Marcel. Il contemplait, perplexe, de grosses larmes coulant sur ses joues rebondies, le petit bout de papier sur lequel était écrit : « S’il-te-plaît, dessine-moi un Tchèque. » (Il faut savoir rester courtois dans ce métier chafouin).

« Allons, mon petit, fais un effort.
Tournant vers moi ses yeux humides, il me répondit humblement :
– Mon papa, il n’a pas cet Astérix-là. »

J’insistai. Il courba la tête, poussa un soupir et se mit au travail, sa mignonne langue rose entre les dents. Il me dessina, ce petit con, un rectangle de papier avec des chiffres dans les coins… Je l’ai privé de récréation !

Les habitants de la Tchéquie s’appellent les Tchèques. Ce qui dénote, reconnaissons-le, un niveau d’imagination quelque part entre la belon numéro 4 et ma belle-mère.

Au Moyen Âge, la Tchéquie était le « royaume de Bohême », peuplé de gens gais comme des Italiens qui dansaient joyeusement des bourrées auvergnates car ils n’avaient pas encore inventé le flamenco.

Boutés sèchement hors de leur pays par l’envahisseur Čech, les Bohémiens quittèrent au son des violons tziganes leur riante contrée dans des cabanes hâtivement pourvues de roues, qu’ils nommèrent pompeusement « rouleottes ». Leur périple sur les routes inhospitalières fut chaotique. Des problèmes d’entente entre les peuples, surtout quand il leur prit l’envie de visiter leurs nids de poules. « Nous sommes des Boïens ! » criaient-ils en zigzagant pour éviter la chevrotine, « Des bons-à rien ! » s’époumonait le cul-terreux gêné par ses sabots quoique étant un bel ongulé.

À l’instar de la Suisse, la Tchéquie n’a pas d’accès à la mer, mais c’est là, avec la culotte de peau de leurs groupes folkloriques qui nous broutent la cochlée à grands coups de crincrins geignards, leur seul point commun.

Sans débouché maritime où fuir en cas d’invasion, les nouveaux occupants, par prudence, copinèrent avec leurs voisins. Des Polacks à droite, des Germains à gauche et des Autrichiens au sud, les soirées barbecue fleuraient bon le Nazi gominé. Ils passèrent quatre siècles à lécher les bottes habsbourgeoises. En 1918, tout joyeux d’être enfin libérés du joug allemand, les Tchèques se jetèrent dans les bras leurs libérateurs russes. Être ou ne pas être Slave !  Ou alors ils ont fait exprès rien que pour emmerder le Maréchal Foch.

Les Tchèques aiment l’ordre. N’oubliez pas de donner un ordre à votre Tchèque préféré, sinon il ira se faire encaisser ailleurs.

Faites bien attention quand vous parlez à un Tchèque. Personnellement, je ne parle plus aux étrangers, surtout s’ils sont Tchèques, depuis que j’en ai invité un, avec un petit cul, de longs cils de fille et un regard de biche, à monter boire une bière un soir.
Celui-ci était susceptible. Et Morave. Ce qui, Dieu m’en est témoin, fut un comble de malchance…

Parce que, figurez-vous, c’est une grave insulte d’appeler un Tchèque un Tchèque. En effet, les habitants de la Moravie, pourtant citoyens de la République Tchèque, refusent de dire qu’ils sont « Tchèques » (Čech en tchèque), mais se définissent comme « Tchèques » (Český). La République Tchèque consacre, depuis 1946, les contorsions sémantiques de tout un institut à l’étude de cette subtilité géo-linguistique.

Il s’est vexé, ce con. Il a fallu beaucoup de contorsions sémantiques de ma femme pour sécher ses larmes.

« On ne mélange pas les torchons et les serpillières », aurait commenté Reinhard Heydrich, gouverneur de Tchéquie gominé, à la porte de la chambre à gaz, à l’oreille du médecin juif tzigane handicapé qui le soignait avec zèle.

Il y a deux sortes de Tchèques : les Tchèques du sud, au parler doux et mélodieux, et qui dansent au son des violons, et les Tchèques de l’Ouest, au parler guttural qui me rappelle la douce Greta aux nattes blondes du camping de mon enfance qui a plus fait pour l’amitié Franco-Allemande en trois étés que Helmut et François en dix ans. Et puis, il y a aussi une poignée de Silésiens égarés. Je sais, ça fait trois. Et encore, je n’ai pas mentionné les Tchèques en bois.

Comment reconnaître un Tchèque en bois ? Passez-lui la Sinfonietta opus 60 de Janaček. S’il éclate en sanglots, ou à la rigueur ébauche un début d’érection, alors votre Tchèque n’est pas de bois. « Ouiiiii, maiiiiiis … » entends-je au fond de la salle. À ceci je réponds que si vous n’avez pas la sinfonietta sous la main, personne n’est parfait, montrez-lui vos seins.

Les Tchèques écrivent des musiques inconnues, des livres qui font bailler les huitres et des films d’animation qui me font bien marrer, mais n’allez pas le répéter à la mère de mes enfants, je tiens à la pointe d’admiration, dans ses yeux, pour ma force virile quand je change une roue de son vélo.

L’emblème de la République Tchèque est la clef de 16. La clef de 16 est à la Skoda ce que le cheval est à l’homme : sa plus noble conquête. Pour se payer une Skoda de première main, les Tchèques ont récemment transformé leurs beaux équidés au regard presque humain en culards charolais. Évitez d’en parler devant mes enfants, je ne voudrais pas qu’ils se mettent à bouder leur plaisir le jour des raviolis.

Les athlètes tchèques courent vite et frappent fort. Les plus célèbres sont Emil Zátopek et Ivan Lendl. J’en vois dans le fond qui s’offusquent de l’incurie de nos postillonneurs patentés des stades. Comment ? Il n’y a pas qu’eux ! Essayez donc, pour qu’on se marre un peu, de commenter les exploits de Kratochvílová ou Čáslavská.

Mais ce que j’en dis, c’est rien que pour cafter.