Jalousie, quand tu nous tiens

« Agent d’entretien ? C’est quoi, ça ?
–  Votre femme fait le ménage.

Il regarde le contrat de travail, puis le détective.
–  Donc ça fait un mois que ma femme, une tronche en ingénierie génétique, passe la serpillière chez Gentéthlon, la boîte qui  dépiaute le génome humain ? »

Il s’est toujours demandé comment il a pu emballer une greluche pareille, belle, intelligente, cultivée, élégante. Lui, un mec malin, bosseur, mais pas classe. Même pas beau. Qui s’est fait tout seul, et qui a réussi.

Le pognon coule à flot à la maison, elle a pas besoin de bosser.

Sa gonzesse, il en est raide dingue. Elle a beau lui dire qu’il est l’amour de sa vie, qu’elle aime les Cro-Magnon, il a toujours l’impression qu’elle est trop bien pour lui, qu’elle va se tirer avec un autre. Il la surveille. Elle le prend bien, lui bécote le museau, l’appelle son Gros-Jaloux. Quand elle fait ça, il a le palpitant comme un calendos trop fait.

Là, ça fait un petit moment qu’il flaire l’embrouille. Il y a six semaines, elle est allée voir son frangin à Lyon. Toute seule. Lui ne veut plus en entendre parler, depuis que l’autre l’a traité de demeuré.

Elle est revenue avec une gueule de six pieds de long. Elle a la tête ailleurs, bade les mouches, crame la tambouille. Le ménage laisse à désirer, il doit mettre ses chemises au pressing. Pire, au pieu, c’est l’hôtel du Cul-Tourné. Une fois même, il a vu ses yeux tout rouges, comme si elle venait de chialer. Elle a parlé d’allergie, mais ya un lézard.

Puis elle a pris ce job, parce que ses neurones s’embourbaient aux fourneaux, qu’elle dit. Il pige, elle a du high-tech dans le plafond, mais, pourquoi la nuit ? « Parce que les calculateurs tournent H24, et qu’il faut quelqu’un tout le temps, gros nigaud. » Qu’elle gamberge mieux quand elle est seule. Il a pas moufté.

Seule, mon œil ! Il a embauché ce détective.

« En fait, le contrat stipule qu’elle nettoie les bureaux de 18h à 2h du matin.
–  Alors, pourquoi qu’elle rentre à 5h du mat’ ?

Le détective continue :

–  Nous allons bientôt le savoir. Seule la salle des ordinateurs reste allumée après 2h. Je me suis introduit dans les locaux, j’ai trouvé une petite pièce attenante au bureau du patron. Insonorisée, lumière tamisée, mini bar bien garni, musique d’ambiance et un clic-clac ! »
Il fulmine : « Ah ! Je le savais ! Elle se fait le boss.
–  Attendez, il nous faut des preuves. J’ai installé des capteurs de présence qui déclenchent le micro-émetteur placé sous le canapé. Quand quelqu’un entre dans la pièce, on entend tous les bruits sur l’appareil que voici. Il n’a pas une grande portée. De ce café, juste en face, vous assurerez la surveillance. »

Et donc ça fait une semaine qu’il campe tous les soirs dans ce troquet. Le patron l’a à la bonne, il consomme sec. Bédame, c’est long, une soirée de cocu !

Qu’il rentre bourré chez lui.

Au début il y allait mollo sur la gnôle, pas son habitude, mais la solitude aidant, il y a pris goût. Et puis, ça l’aide, quand il a des visions de sa meuf dans les bras d’un pointu.

Il commence par une paire de pastagas à l’apéro. Puis il casse la croûte au jaja. Après le dijo, les murs deviennent un peu flous et l’autre, dans son ciboulot, commence à lui chuchoter des trucs qui le mettent en rogne.

Clic ! (Ah ! la loupiote s’allume sur le bouzin)

« Meeeeerde ! Une voix d’homme. En fond, un aspirateur. Quelle poisse ! L’aspirateur s’éteint.
–  Vous m’avez parlé, Monsieur ? (C’est elle ! Elle va l’envoyer aux fraises, j’suis sûr !)
– Regardez dans quel état je me suis mis ! Et j’ai un gala de donateurs dans une heure. Impossible d’y aller comme ça ! Faites quelque-chose ! (Gros porc ! )
–  Oui Monsieur ! Heu ! C’est mal placé, c’est gênant. (T’as raison, ma poupée, mets les bouts, je t’attends en bas !)
– 
Enlevez-moi tout ça. Vite, l’heure tourne. (Tu vas prendre ma paluche en travers du portrait, empaffé ! )
– D’accord, pendant ce temps, ôtez votre pantalon. Bruit de tissus. Montrez voir. Je vais m’en occuper. Une heure c’est suffisant.

CROUIK (Ils sont sur le canapé. Je vais les crever ! )

–  Passez-moi mon sac. J’en ai toujours sur moi. Où est-il ? (Un préservatif ? Elle trimbale des capotes dans son sac-à-main ?) … Voyez, il faut tapoter, sinon ça ne sort pas. Tap tap tap (J’en peux plus, Patron, un double !) Maintenant il faut attendre que ça pénètre bien à fond. (Schlurpp ! Un autre !)

Silence

–  C’est bon, là ?
– Patience, laissez-moi faire ! Il faut frotter fort.
Crouik crouik crouik !
–  Vous êtes pleine de ressources ! Crouik crouik crouik ! Aaaah ! Super ! C’est tout parti !
– C’est un peu mon métier, Monsieur ! (L’enflure, si ça s’trouve j’suis cocu depuis le début !) Tenez, vous pouvez remettre votre pantalon.

Crouik

– Vous êtes un ange. Je me sauve. Merci mille fois.
– De rien, avec plaisir.

Porte qui claque

Il est scié. Il finit son triple-sec puis rentre chez lui en titubant. Une demi bouteille de whisky fera l’affaire, pour poireauter jusqu’à ce qu’elle rentre.

Elle arrive, comme d’hab’, à 5H. Elle est rayonnante, elle chantonne, un papier à la main.

L’esprit embrumé, il l’attend de pied ferme. Lui claque le beignet, la traite de morue, qu’il sait tout.

Elle pleurniche, balance des salades, comme quoi elle s’est introduite chez Gentéthlon pour aller dans leur banque chercher un donneur. (Elle le prend pour un cave ? La banque ils prennent le pognon, ils le donnent pas, et puis la banque “Data”, jamais entendu parler.) Que son frère a besoin d’une greffe de moelle osseuse, d’urgence. Il a une leucémie. (Il entrave que pouic ! Dans ses vapeurs alcoolisées, il voit son beauf avec une tige pleine de bourgeons sur la tête.) Qu’elle en a trouvé un ce soir, parfaitement compatible, là, c’est sur le papier. (Il sait bien, lui, quel compatible elle a trouvé ce soir, et pas sur le papier. Roulure !) Elle va le contacter.

Marre de ses excuses à 2 balles. Il cogne encore un petit peu dessus, sans conviction, puis s’écroule sur le canapé.

Au matin, il s’aperçoit qu’elle s’est tirée. Elle a pris ses frusques et la caisse. Elle a laissé un mot. La trainée ! Elle demande le divorce pour coups et blessures !

Il va s’occuper du fumier qui lui a pris sa femme, en faire de la bouillie.

Il débarque dans le bureau, hirsute, la bave aux lèvres, les yeux injectés de sang, dans ses fringues chiffonnées qui puent la clope et la sueur. Il a juste le temps de le traiter de crevure et de lui mettre une baffe, l’autre le plaque au sol avec une prise de judo.

Les flics l’emmènent en cellule de dégrisement.

« La lettre de démission de Madame X… ? Moi qui allais lui proposer un poste pérenne. Une femme adorable. Vraiment !
Ah ! Elle a oublié son saupoudreur sur mon bureau. Mademoiselle, connaissez-vous ce détachant ? Hier, j’ai renversé un hamburger sur mon pantalon, regardez, il ne reste plus qu’un petit spot plus clair de terre de Sommières, à la place.
C’est fa-bu-leux pour enlever les taches de mayonnaise ! »

à propos de « Jalousie »